Afin de densifier le tissu urbain, la qualité de l’architecture doit être redéfinie, mais comment ? Panorama des indicateurs stratégiques pour la qualité architecturale.
L‘architecture est impactée et reconfigurée par les démarches liées à la transition énergétique au sens large. De nouvelles méthodes qualitatives sont utilisées. Nous désignons ici la famille de plus en plus vaste et puissante des « référentiels du Développement Durable », eux-mêmes secondés par les labels et les certifications, HQE en France ou BREEAM ailleurs. Dans ces méthodes d’évaluation et de prescription, de nombreux objectifs sont déclinés. Mais, et c’est ce qui nous intéresse particulièrement, ces méthodes du DD se fondent essentiellement sur la définition et l’usage d’indicateurs. Ces indicateurs de la ville réelle sont en évolution rapide, soit parce qu’ils sont d’émergence récente, soit parce qu’ils sont étalonnés beaucoup plus précisément qu’auparavant. Il est indispensable que les architectes en charge des questions du patrimoine s’impliquent dans ces méthodes, afn de participer avec les ingénieurs à l’élaboration des outils de conception et d’évaluation à venir. Il faut, vis-à-vis de ce qui est, à tort, considéré comme l’apanage de l’ingénierie, nous mettre en situation créative et contribuer de manière majeure à cette nouvelle culture des indicateurs de la ville et de l’architecture. Nous voulons illustrer cette attitude par un panorama d’indicateurs stratégiques pour la qualité architecturale. Nous contribuons en tant qu’architecte urbaniste, à travers diverses missions et recherches, à mieux définir ces indicateurs d’aujourd’hui, notamment ceux mesurant les densités urbaines. Dans cet article, les indicateurs évoqués suivent une progression du plus culturel au plus technique. Ces indicateurs sont regroupés en trois thématiques qui décrivent un champ large des études actuelles : les atlas urbains, les études énergétiques des flots urbains et la modélisation de la lumière naturelle en ville.
Les atlas urbains et leurs nouveaux indicateurs
La première thématique est celle des formes urbaines. Les atlas urbains sont une pratique fort utile et ancienne mais leur renouvellement avec les approches “DD” n’est pas stabilisé. Nous avons découvert, en étudiant les atlas urbains actuels, que nous travaillons à la qualité urbaine sans nous fonder sur une gamme d’indicateurs robustes et étalonnés précisément, ce qui nous place en position de faiblesse. Lors de l’élaboration du référentiel d’aménagement durable pour la Communauté d’agglomération de Cergy-Pontoise, nous avons produit un atlas mesurant quatorze indicateurs. Parmi ceux-ci certains conditionnent directement la qualité de la densité urbaine. Il est très difficile de réunir des données précises sur ces indicateurs pourtant largement débattus et très stratégiques puisqu’ils influent sur la qualité urbaine. Prenons trois exemples. L’emprise au sol est réglementée dans de nombreux “PLU”, mais elle est très mal évaluée dans sa réalité construite. L’arboricité en ville est mesurable par le taux d’arbres de hautes tiges à l’hectare, or ce taux est quasiment inconnu alors qu’il conditionne énormément le confort des espaces publics et des cours des villes denses. La fertilité du sol est ce qui reste du sol urbain comme potentiellement fertile, une fois enlevées les emprises au sol du bâti et celle minéralisées des dessertes véhicule et piétonne. Cette fertilité détermine directement la régulation des flots de chaleur. Et pourtant, cette fertilité urbaine n’est pas documentée de manière robuste, ni étalonnée selon les différents caractères urbains.
Les gisements énergétiques en ville à spatialiser
La deuxième thématique recourant à une logique d’indicateur est celle concernant l’énergie des bâtiments et, plus précisément, celle des gisements en ville. Lors de la recherche Ignis Mutat Res conduite par le ministère de la Culture et de la Communication et l’AIGP, nous avons au sein de l’équipe Ipraus E. Gallo fait la partie prospective. Pour établir cette prospective, nous avons défini une typologie des énergies accessibles localement en la fondant sur la spatialité. Ce point est important : parmi les nombreuses approches de l’énergie en ville, il est indispensable d’avoir une lecture spatiale à partir de la coupe, et non uniquement un classement issu de la technique. Les gisements urbains sont ainsi révélés par strates, du sous-sol à la canopée, selon trois grandes figures d’accès. Notre typologie énergétique est d’essence “territoriale” : c’est là tout l’intérêt de cette nouvelle typologie basée sur les nouveaux usages du “sol”. Elle se décline en trois grandes familles selon les modes d’extraction de ces gisements : en “flux”, en “diffus” et en “poches”. Pour les types “flux”, l’énergie est contenue dans les réseaux existants (égouts, chauffage urbain dans les strates proches du sol, dessus et dessous). Pour les types “diffus”, l’énergie est captée par petites quantités dans de multiples emplacements, essentiellement dans les parties supérieures de la coupe du sol (éolien et solaire). Pour les types “poches”, l’énergie est présente en volume, dans des formes et des placements divers. Principalement en deux séries, en strates aériennes intermédiaires et dans les profondeurs du sous-sol. Les mix énergétiques de la ville dense deviennent “cartographiables” et leur diversité est un bon présage pour leur future exploitation. Les indicateurs énergétiques issus de cette approche permettront de concevoir, plus finement qu’un simple “patch technique”, l’intégration dans l’architecture de ces nouvelles énergies renouvelables locales.
L’enjeu de la lumière naturelle en ville
La troisième thématique est celle de la lumière naturelle. Elle génère de nouveaux indicateurs à la qualité architecturale. Nous avons effectué une recherche intitulée « CLEA Confort Lumière Energie Ambiance » pour le FEDER et la Direction IDF, avec l’équipe mandatée par Deluminae. Nous avons pu développer de nombreux indicateurs, notamment pour ceux de la conception urbaine. À l’échelle urbaine, une typologie générale est reliée aux situations de la lumière naturelle et de la vue. Il est, dès lors, possible de modéliser les tests d’ensoleillement, de masques solaires, des obstructions de la vue sur le ciel, afin de partager des valeurs de référence. L’approche rationnelle de la lumière et celle de la vue sur l’extérieur pourront ainsi être incorporées aux diagnostics architecturaux et enrichir de précisions les prescriptions. Cette énumération illustrée souhaite insister sur une question cruciale pour penser la ville de demain : les indicateurs spatialisés sont devenus un enjeu urgent pour les architectes, pour mieux partager la qualité architecturale.
Philippe VILLIEN
architecte urbaniste - enseignant ENSAPB, chercheur à l’Ipraus et ITE Efficacity.